HPI et professionnels : ajuster votre posture professionnelle aux particularités des HPI

Un article documenté et accessible pour mieux comprendre les tensions et bâtir une alliance efficace.

Des malentendus récurrents ? C’est pas une fatalité !


Depuis que j’exerce et côtoie des HPI et les professionnels qui les suivent, les doléances s’entendent des deux côtés, mais pourquoi et que faire ? Entre patients à haut potentiel intellectuel (HPI) et professionnels (psychologues, coachs, éducateurs, médecins…), la relation se grippe souvent. Les uns dénoncent des postures « rigides », des protocoles qui ne leur ressemblent pas, ou des généralités sur « les surdoués ». Les autres constatent des réactions jugées excessives, des arrêts de suivi « sans raison », le sentiment d’être testés en permanence… Or, la qualité de l’alliance thérapeutique est l’un des meilleurs prédicteurs des résultats, toutes approches confondues. Autrement dit, la manière dont on travaille ensemble compte au moins autant que le « quoi » qu’on applique.

Pour comprendre ce qui coince, rappelons deux repères : (1) le HPI n’est pas un profil unique, mais une hétérogénéité marquée ; les trajectoires cognitives et affectives varient fortement d’une personne à l’autre, ce qui impose une lecture au cas par cas. (2) Le fonctionnement HPI peut s’accompagner d’un vécu interne « qualitativement différent » (pensée rapide/complexe, recherche de sens, intensité émotionnelle) qui exige des ajustements en counseling. Dans ce cadre, la définition classique de l’alliance (Bordin) — buts partagés, tâches co‑définies, lien — est importante : quand l’un de ces piliers est mal ajusté au fonctionnement de l’autre, la relation chancelle.

Côté professionnels : cinq difficultés fréquentes… et ce qu’il y a dessous

1) « Réactivité excessive » et ruptures soudaines du suivi

Ce que l’on voit : des émotions intenses, un « tout ou rien », une décision d’interrompre quand « ça manque de sens ». Ce que cela traduit souvent : un besoin d’autonomie et de sens non nourri. Les travaux de la Self‑Determination Theory (SDT) montrent que l’engagement durable naît lorsque les besoins d’autonomie, de compétence et de lien sont soutenus ; à l’inverse, un cadre vécu comme imposé suscite la réactance… et les abandons.

2) « On me met en défaut / on me teste »

Ce que l’on voit : des rafales de questions techniques, des comparaisons de méthodes, des « corrigés » du pro. Hypothèse relationnelle : un test de sécurité et de compétence, classique chez des patients à forte exigence de cohérence. Les bonnes pratiques en conseil des publics à haut potentiel recommandent de valider l’expertise du patient, de métacommuniquer (« qu’est-ce qui vous rassurerait ici ? ») et de recentrer vers ses objectifs.

3) « Des raisons futiles pour arrêter »

Ce que l’on voit : un micro‑événement (contradiction logique, temps mort, consigne floue) devient le point de bascule. Décodage : chez des personnes à pensée rapide et intolérance au flou, l’incohérence perçue sabote l’alliance. Les études sur l’alliance confirment qu’au‑delà des techniques, c’est l’ajustement fin des buts et tâches au vécu du patient qui soutient la relation et l’issue.

4) « Mutisme, je dois deviner »

Ce que l’on voit : silence prolongé, réponses minimalistes, retrait. Lecture possible : un shutdown de protection (honte, peur du jugement) plus qu’un « refus ». Des travaux récents montrent l’importance, dès les premières séances, de nommer l’émotion, de laisser un choix cadré (parler/pause/écrire) et de ralentir la tâche pour restaurer la sécurité.

5) « C’est de l’hyperactivité ou “juste” du HPI ? »

Risque classique : l’effet de faux jumeaux entre caractéristiques HPI (vitesse interne, distractibilité par ennui, impulsivité d’idéation) et symptômes TDA/H. La littérature souligne un double enjeu : éviter la sur‑interprétation (tout attribuer au HPI) et la sous‑interprétation (louper une comorbidité). Le meilleur résumé : la confusion existe… mais la double étiquette aussi.

Côté patients HPI : quatre griefs récurrents envers les pros

1) « Conformisme, manque de flexibilité »

Beaucoup décrivent un décalage entre leur manière de penser (rapide, arborescente, orientée sens) et des protocoles vécus comme « standardisés ». Sur le plan clinique, plusieurs auteurs insistent sur une expérience vécue non « normale » qui demande des aménagements concrets en counseling : choix cadrés plutôt qu’ordres, objectifs négociés, rythme adapté.

2) « Je ne me sens pas reconnu »

La notion de dysynchronie (dispersion entre cognitions entre elles ou entre cognition et émotions) explique un vécu interne singulier. Négliger cette singularité entame l’alliance ; la validation précise (plutôt que des compliments vagues) est centrale.

3) « On pense me connaître parce qu’on a déjà vu des HPI »

C’est l’effet prototype : plaquer un « profil HPI » sur une personne. Or la littérature rappelle de fortes différences inter‑individuelles ; éviter les raccourcis nécessite d’explorer sa trajectoire (forces, fragilités, environnement).

4) « Quand je me tais, on me prête des intentions »

Beaucoup décrivent un sentiment d’incompréhension ou d’« être trop » (vitesse/émotion) et se replient. Les études qualitatives évoquent perfectionnisme, solitude existentielle, multipotentialité — autant de thèmes à accueillir explicitement pour rouvrir le dialogue.

Analyse croisée : d’où viennent les tensions ?

  • **Cadre vs autonomie** — Quand le cadre est appliqué sur le patient et non avec lui, l’engagement chute (SDT). Traduction concrète : co‑construire les objectifs (but), négocier le comment (tâches), sécuriser le lien (alliance).
  • **Vitesse/complexité vs temps/étapes** — Le patient HPI peut traiter vite et viser la cohérence globale, là où le pro déroule des étapes séquentielles. Annoncer la carte, respecter les plages de pensée, reformuler la convergence.
  • **Intensité émotionnelle vs lecture comportementale** — Colère, sarcasme, mutisme sont parfois des émotions‑masques. Nommer l’émotion plausible réduit la charge et ré‑ouvre l’alliance.
  • **Diagnostic différentiel vs raccourcis** — La confusion HPI/TDA/H voire TSA est un piège. Seule une évaluation multimodale (histoire, tests, contexte) évite les erreurs.

Pistes de réconciliation : 9 gestes concrets et scripts testés

  1. Ouvrir par le « contrat vivant »

« Si, d’ici trois séances, vous aviez gagné une chose, ce serait quoi ? Et comment saura‑t‑on qu’on y est ? » — Aligne but et critères, rassure l’autonomie et consolide l’alliance.

  1. Annoncer la carte

« Je vous propose : 5 min pour comprendre pourquoi, 10 min pour comment, 5 min de choix. OK ? » — Permet au patient de situer sa pensée globale et de tolérer les étapes.

  1. Répondre au “test” sans duel

« Votre analyse est fine. Qu’est‑ce qu’il vous faudrait pour que cette séance soit utile, ici et maintenant ? » — Valide puis recentre sur l’objectif fonctionnel.

  1. Traiter le mutisme comme un signal

« J’entends qu’on touche quelque chose de sensible. On continue doucement, on fait une pause, ou vous écrivez une minute ? » — Choix cadrés = sécurité + autonomie.

  1. Éviter les compliments vagues

« Ce qui m’a vraiment frappé, c’est la clarté de votre raisonnement à ce moment‑là. » — La précision nourrit la reconnaissance et réduit la méfiance.

  1. Dissiper la confusion HPI/TDA/H/TSA

« Certaines choses relèvent du HPI (vitesse/ennui), d’autres ressemblent à du TDA/H et d’autres à des symptômes de TSA. On va tester ces hypothèses dans votre quotidien, pas coller une étiquette. » — Cadre clair face aux chevauchements possibles.

  1. Co‑designer les tâches

« On vise le même but, mais on a deux options de chemin. Laquelle vous convient ? » — Renforce l’engagement et l’alliance.

  1. Nommer l’émotion cachée

« Je me demande s’il n’y a pas un peu de honte quand on parle de ça. On vérifie ? » — Réduit l’intensité et relance la coopération.

  1. Se garder des étiquettes fragiles

« Appelons‑ça “intensité” si vous voulez, mais regardons surtout quand ça s’allume et comment on le régule. » — Prudence utile autour des concepts débattus.

Exemples cliniques brefs

Interruption de pensée → colère brève — Décodage : peur de perdre le fil d’une pensée arborescente. Réponse : « Je vous laisse finir, puis je résume et je vous propose deux suites. » (respect du but mental du patient).

Éloge flou → malaise / autodérision — Décodage : crainte d’être « sur‑vendu ». Réponse : feedback spécifique sur un comportement observable.

Silence obstiné en début de suivi — Décodage : protection face au jugement. Réponse : choix cadrés + normalisation du rythme d’entrée en relation.

Mon objectif c’est de former les pros, sécuriser l’alliance, libérer le potentiel

La relation HPI‑professionnels se tend quand on traite un profil supposé là où il faut traiter une personne singulière, et quand on applique un cadre sur plutôt qu’avec. Les données sont claires : une alliance ajustée (buts, tâches, lien) améliore l’issue des prises en charge, indépendamment de l’école de pensée. Ajouter la boussole motivationnelle (SDT) et quelques micro‑gestes (validation précise, choix cadrés, métacommunication) suffit souvent à transformer un duel en coopération exigeante et efficace.

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Références clés (sélection)

  • Flückiger, C., Del Re, A. C., Wampold, B. E., & Horvath, A. O. (2018). The Alliance in Adult Psychotherapy: A Meta‑Analytic Synthesis.
  • Bordin, E. S. (1979). The generalizability of the psychoanalytic concept of the working alliance.
  • Ryan, R. M., & Deci, E. L. (2000/2008). Self‑Determination Theory.
  • Mullet, D. R., & Rinn, A. N. (2015). Giftedness and ADHD: Identification, Misdiagnosis, and Dual Diagnosis. Roeper Review.
  • Cross, J. R. (2015). Clinical and Mental Health Issues in Counseling the Gifted Individual.
  • Silverman, L. K. (1998). Through the Lens of Giftedness: Asynchrony and the Counseling of Gifted Individuals.

Lavik, K. O., et al. (2022). Relationship and Alliance Formation Processes in Psychotherapy.