Être haut potentiel intellectuel (HPI), ce n’est pas seulement “avoir un grand QI”. C’est vivre au quotidien avec un cerveau qui va vite, une sensibilité souvent intense et un sentiment de décalage difficile à expliquer. Pour certains enfants ou adultes, ce “cadeau” peut parfois prendre la forme d’un fardeau : surcharge émotionnelle, incompréhensions, épuisement.
De plus en plus de professionnels reçoivent en consultation des personnes HPI – identifiées ou en questionnement – et se demandent comment adapter leurs outils et leur posture. Faut-il une “thérapie spéciale HPI” ? Quelles sont les spécificités à prendre en compte sans enfermer ces personnes dans une nouvelle étiquette ?
Cet article propose des repères pour comprendre les caractéristiques du HPI, mieux accueillir la sensibilité émotionnelle, et ajuster l’approche thérapeutique, tant avec les enfants qu’avec les adultes. Il donne aussi des pistes de régulation émotionnelle et éclaire les enjeux professionnels souvent présents chez les HPI.
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Comprendre le HPI : bien plus qu’un chiffre de QI
On parle généralement de haut potentiel intellectuel lorsque les résultats aux tests standardisés situent le QI total à 130 ou plus, ce qui concernerait environ 2 à 3 % de la population, soit plus de 200 000 enfants en France. Ces évaluations sont réalisées avec des outils comme la WPPSI-IV (jeunes enfants), la WISC-V (enfants/adolescents) ou la WAIS-IV (adultes), dans le cadre d’un bilan complet.
Cependant, réduire le HPI à un nombre serait passer à côté de l’essentiel. De nombreuses caractéristiques qualitatives reviennent dans les descriptions cliniques :
• curiosité intellectuelle et besoin de comprendre en profondeur
• créativité et pensées simultanées
• grande capacité d’analyse, parfois jusqu’à la rumination
• sens aigu de la justice et idéal moral élevé
• forte empathie et sensibilité aux émotions et aux ambiances
• perfectionnisme, exigence envers soi-même et les autres
• sentiment récurrent de décalage avec le groupe.
ATTENTION !!!
Toutes ces caractéristiques peuvent ou pas être retrouvées chez les HPI, l’objet de ma thèse était justement de démontrer qu’ils étaient tous différents et que, dans ces conditions, créer un profil était TRES caricatural.
Le HPI n’est pas une maladie ni un trouble. C’est une manière particulière de traiter l’information, de ressentir et d’être au monde. Le travail thérapeutique consiste alors moins à “réparer” qu’à accompagner l’ajustement à ce fonctionnement, à valoriser les ressources et à soutenir la régulation des zones de vulnérabilité.
Sensibilité émotionnelle : une force à apprivoiser
Une intensité émotionnelle fréquente
Beaucoup de personnes HPI décrivent une intensité émotionnelle : tout semble plus fort, plus vite et plus longtemps. Elles peuvent être profondément touchées par une scène dans la rue, une remarque anodine ou une injustice au travail et avoir du mal à “passer à autre chose”.
Chez l’enfant, cela se traduit parfois par :
• des réactions jugées “démesurées” face à de petites frustrations
• un besoin de sens permanent, y compris sur des sujets graves
• une forte sensibilité au bruit, à la lumière, aux tensions familiales.
Chez l’adulte, on peut retrouver :
• un radar émotionnel très fin pour les ambiances et les non-dits
• une empathie intense pouvant mener à l’épuisement
• une tendance à l’anxiété, à la rumination et au stress chronique.
Les ressources récentes sur l’hypersensibilité insistent sur le fait qu’il ne s’agit pas d’une faiblesse, mais d’une capacité à percevoir plus finement les nuances émotionnelles et à vivre une palette d’émotions plus large. Bien accompagnée, cette sensibilité devient un véritable outil de compréhension de soi et des autres.
Les défis associés à cette sensibilité
Sans repères ni outils de régulation, cette intensité peut toutefois entraîner :
• surcharge et submersion émotionnelles
• difficultés de concentration
• irritabilité, crises de larmes, effondrements ponctuels,
• retrait social ou évitement des situations jugées trop stimulantes
• vulnérabilité à l’anxiété et au burnout.
Le rôle du thérapeute est alors de normaliser cette expérience, de la distinguer d’un trouble de la régulation émotionnelle, et de proposer des moyens concrets pour apprivoiser ce fonctionnement plutôt que le combattre.
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Travailler avec les enfants HPI : alliance, jeu et créativité
Accompagner un enfant HPI, c’est entrer dans un univers souvent très riche, intense, parfois déroutant. Quelques repères peuvent soutenir la relation thérapeutique.
Partir de ses centres d’intérêt
Les enfants HPI peuvent avoir (ou pas, toujours pareil) des centres d’intérêt pointus, parfois très avancés pour leur âge (astronomie, mythologie, programmation, animaux, etc.). S’y intéresser sincèrement permet :
• d’établir rapidement la confiance
• de montrer que l’on respecte son monde intérieur
• de disposer de supports concrets pour le travail thérapeutique.
Par exemple, un enfant passionné de planètes peut travailler ses peurs ou ses colères à travers une histoire de voyage spatial où chaque planète représenterait une émotion.
Utiliser le jeu comme médiateur central
Le jeu est un outil privilégié avec les enfants HPI, non pas comme simple “détente”, mais comme voie d’accès à leurs préoccupations :
• jeux de rôle : rejouer des scènes de classe, de fratrie, des situations de harcèlement ou d’injustice permet d’ouvrir la parole en indirect
• jeux de société : travailler la tolérance à la frustration, le respect des règles, la coopération
• dessin, histoires, BD : exprimer ce qui ne trouve pas encore les mots
• jeux des émotions : associer des cartes, des couleurs, des personnages à des ressentis.
Les jeux de construction (type LEGO) ou de logique sont particulièrement appréciés : ils combinent défi intellectuel, créativité et possibilité de tester différentes solutions. Ils offrent un terrain idéal pour travailler la flexibilité, la gestion de l’erreur ou la coopération avec le thérapeute ou les parents.
Proposer des défis… mais pas n’importe lesquels
Certains enfants HPI se sous-engagent lorsque la tâche leur paraît trop simple, ou s’auto-sabordent lorsque la barre est trop haute. Proposer des défis ajustés aide à :
• nourrir leur besoin de stimulation
• travailler la persévérance malgré la difficulté
• expérimenter que l’erreur fait partie du processus d’apprentissage.
Un projet créatif (expérience scientifique, mini-BD, exposé filmé) peut servir de fil rouge pour travailler, par exemple, la gestion de la frustration ou l’achèvement des tâches.
Favoriser l’autonomie et la co-construction
Les enfants HPI gagnent à être acteurs de leur suivi : on peut les inviter à définir ce qu’ils aimeraient changer, ce qu’ils voudraient comprendre sur eux-mêmes, et comment mesurer les progrès.
Cette posture renforce :
• leur motivation
• le sentiment d’efficacité personnelle
• la perception de la thérapie comme un espace de partenariat plutôt que comme un cadre imposé.
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Travailler avec les adultes HPI : authenticité, collaboration et multipotentialité
Les adultes HPI arrivent souvent en consultation fatigués de s’adapter, avec l’impression de “jouer un rôle” depuis des années. Ils sont nombreux à avoir construit un faux self : un personnage qui colle aux attentes de l’entourage, mais qui les éloigne d’eux-mêmes.
Oser une relation thérapeutique authentique
Les adultes HPI apprécient les échanges directs, clairs, sans condescendance. Ils ont généralement une grande capacité d’analyse et repèrent vite les incohérences ou les non-dits.
Une alliance solide repose sur :
• la transparence sur le cadre et les objectifs
• la possibilité de questionner la méthode, de comprendre le “pourquoi” des exercices proposés
• l’acceptation d’un dialogue d’égal à égal sur le plan intellectuel.
Nommer explicitement ces attentes peut déjà être apaisant : il ne s’agit pas de “trop réfléchir”, mais d’utiliser cette capacité de réflexion pour nourrir le travail thérapeutique.
Construire ensemble le travail thérapeutique
Une approche collaborative est particulièrement pertinente :
• co-définir les priorités (stress, relations, carrière, identité, etc.)
• choisir ensemble les outils qui font sens pour la personne
• ajuster le rythme au besoin de compréhension et d’intégration.
Certaines séances peuvent prendre la forme de débats guidés autour de thèmes qui touchent le patient (liberté, justice, normalité, performance…). Ces échanges permettent de travailler les enjeux émotionnels et identitaires tout en respectant le besoin de stimulation intellectuelle.
Prendre en compte la multipotentialité
Nombre d’adultes HPI se reconnaissent dans la multipotentialité : ils ont plusieurs domaines de compétence et d’intérêt, et peinent à se limiter à une seule voie professionnelle ou créative. Cela peut générer :
• un sentiment de dispersion
• une culpabilité de “ne pas aller au bout”
• la peur de se tromper de voie
• un stress chronique lié à la pression du choix.
En thérapie, il s’agit moins de forcer un choix définitif que d’aider à :
• clarifier les priorités du moment
• identifier les contextes où la diversité des intérêts est une richesse
• construire des scénarios de vie où plusieurs facettes peuvent coexister (carrière principale, projets parallèles, loisirs créatifs).
Sortir de la sur-adaptation
Le travail sur le faux self et la sur-adaptation est central : repérer les situations où la personne se “camoufle”, identifier ce que cela lui coûte, expérimenter des micro-ajustements d’authenticité dans des cadres sûrs.
Des approches comme la Gestalt, les thérapies humanistes ou l’ACT offrent des cadres intéressants pour explorer ces questions en restant ancré dans l’“ici et maintenant” et dans le ressenti corporel.
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Outils de régulation émotionnelle adaptés aux HPI
La pleine conscience comme ancrage
La méditation de pleine conscience (mindfulness) est souvent un outil pertinent pour les personnes HPI :
• elle propose un entraînement à revenir au moment présent
• elle aide à observer les pensées sans leur obéir immédiatement
• elle offre un espace de recul face aux ruminations et à la surcharge émotionnelle.
Pratiquée régulièrement, elle peut soutenir :
• une meilleure régulation du stress
• un sentiment de stabilité intérieure
• une disponibilité retrouvée pour la créativité et la relation aux autres.
Des formats courts (quelques minutes par jour, micro-pauses de respiration consciente) sont souvent plus accessibles qu’une pratique longue d’emblée.
Respiration, relaxation, mouvement
D’autres techniques de régulation peuvent compléter cet axe :
• respiration profonde (cohérence cardiaque, 4-6 respirations/minute)
• relaxation musculaire progressive
• visualisation guidée (lieu ressource, scénario apaisant)
• yoga ou mouvement conscient pour reconnecter le mental très actif au corps.
L’objectif n’est pas de “calmer définitivement” l’intensité, mais d’offrir des leviers pour ne pas s’y perdre et pouvoir choisir comment répondre plutôt que réagir.
Développer les compétences émotionnelles
Pour beaucoup de HPI, le fait de mettre des mots précis sur leurs émotions et de comprendre ce qui les déclenche est déjà transformateur. Des programmes d’éducation émotionnelle peuvent être proposés :
• repérage des émotions de base et de leurs nuances
• identification des besoins associés
• entraînement à l’expression claire, sans dramatisation ni minimisation.
Chez l’adulte, le journaling (écriture réflexive) est un outil simple et puissant pour externaliser le flux de pensées, repérer les schémas récurrents et suivre l’évolution dans le temps.
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Enjeux professionnels : stress, burnout et environnement de travail
Pourquoi les HPI peuvent être plus stressés au travail
Plusieurs facteurs rendent les HPI particulièrement sensibles au stress professionnel :
• perception fine des incohérences, des injustices ou du manque de sens
• forte exigence envers soi, tendance à se sur-responsabiliser
• difficulté à supporter la routine ou la sous-stimulation
• tendance à anticiper les scénarios négatifs, à ruminer, à douter de soi.
Lorsque ces éléments se conjuguent dans un environnement inadapté (manque de reconnaissance, surcharge, rigidité), le risque de stress chronique puis de burnout augmente.
Du stress chronique au burnout
Un certain niveau de stress peut temporairement stimuler la performance. Mais, chez les HPI, l’excès de stress conduit souvent à l’effet inverse :
• perte de moyens cognitifs (trous de mémoire, difficultés de concentration)
• baisse de la créativité et de la capacité de prise de recul
• fatigue intense, irritabilité, sentiment d’échec
• impression de ne plus “reconnaître” ses propres capacités.
Il est important de rappeler qu’un diagnostic de burnout ne peut être posé que par un professionnel de santé, et qu’un accompagnement spécifique est nécessaire en cas de souffrance importante.
Vers un environnement professionnel plus ajusté
L’accompagnement thérapeutique ou de coaching peut aider à :
• identifier les facteurs de stress propres à la personne (surcharge, ennui, conflit de valeurs…)
• clarifier ses besoins professionnels (sens, autonomie, variété, contribution)
• réfléchir à des ajustements réalistes (réorganisation, changement de poste, projet de reconversion).
Pour d’autres, il s’agit aussi d’explorer :
• comment articuler plusieurs centres d’intérêt
• comment créer des espaces de curiosité en dehors du travail si celui-ci ne peut pas tout combler
• comment installer des limites pour éviter le surengagement permanent.
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Conclusion : une approche thérapeutique sur mesure pour les HPI
Travailler avec des enfants ou des adultes HPI, c’est accepter de dépasser les recettes toutes faites. L’approche thérapeutique gagne à être :
• informée des spécificités cognitives et émotionnelles du HPI
• dépathologisante, en valorisant la sensibilité et la créativité comme des atouts
• individualisée, en tenant compte de l’histoire, du contexte et des besoins de chaque personne
• collaborative, en faisant de la personne HPI un partenaire à part entière du processus.
En cas de souffrance, de doute diagnostique ou de suspicion de burnout, il reste essentiel d’orienter vers un professionnel formé (psychologue, médecin, psychiatre, neuropsychologue) pour une évaluation complète et un accompagnement adapté.
Une approche thérapeutique ajustée ne vise pas à rendre les HPI “moins sensibles” ou “plus normaux”, mais à leur permettre d’habiter pleinement leur intensité, en trouvant des appuis solides pour vivre, apprendre, travailler et aimer de façon plus apaisée.
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Références
• Santé sur le Net – 2024 – Haut potentiel intellectuel : définition, chiffres et tests – article en ligne.
• Cabinet Riffaud – 2024 – Être HPI, un cadeau parfois empoisonné – article de blog thérapeutique.
• LM-DB – 2025 – Impact émotionnel du haut potentiel et régulation des émotions – dossier en ligne.
• HipeKids – 2023 – Hypersensibilité émotionnelle et HPI – article pédagogique.
• La Douance Canada – 2024 – Sensibilité émotionnelle chez les HPI – article en ligne.
• Mroty Psychologue – 2024 – Le jeu comme médiateur thérapeutique – article blog.
• Manu Ludi – 2025 – Jeux recommandés pour enfants HPI – site spécialisé jeux et HPI.
• Hypnose Gard – 2024 – Arts créatifs et hypnose – article sur les médiations thérapeutiques.
• Ecole Coaching Professionnel – 2024 – HPI caméléons et faux self – article sur l’authenticité.
• Magali Barcelo – 2018 – Gestalt-thérapie et haut potentiel – article professionnel.
• Emmanuel Faure – 2024 – La méditation de pleine conscience et le HPI – post LinkedIn.
• Partage ton Burnout – 2025 – Gérer son énergie quand on est HPI – blog sur le burnout.
• Apollo Conseil – 2024 – HPI et stress chronique – article sur les facteurs de stress.
• Eklosia – 2024 – Atypisme professionnel, multipotentialité et burnout – dossier en ligne.
• My Happy Burnout – 2024 – Burnout, multipotentialité et profils atypiques – article blog.
• Sujet original “Travailler avec des individus HPI, enfants et adultes, en thérapie” – notes de travail.
Pour vous former aux bonnes pratiques et postures pour accompagner les HPI vous pouvez voir ma formation : masterclass HPI
