Longtemps, on a pensé que le Haut Potentiel Intellectuel (HPI) protégeait des troubles psychologiques. Mais la réalité est plus nuancée, surtout quand on aborde le sujet des addictions. Pour les personnes à haut potentiel, les conduites addictives ne sont pas un simple « manque de volonté », mais souvent une tentative d’apaiser une intensité émotionnelle ou un ennui insupportable.
S’appuyant sur l’étude « HPI et Addictions : Impulsivité, Régulation Émotionnelle et Pistes Concrètes pour la Clinique », cet article lève le voile sur ce lien complexe et propose des outils pratiques pour les professionnels et les personnes concernées.
Un angle mort : le mythe de la protection
Les études sur la santé mentale des jeunes HPI ont parfois montré un effet protecteur, mais ce constat s’estompe à l’âge adulte. En clinique, il est clair que le statut HPI n’immunise pas contre les addictions. Au contraire, certaines caractéristiques peuvent même augmenter la vulnérabilité, notamment la pensée rapide, le perfectionnisme, l’ennui chronique et l’hypersensibilité.
Plutôt que de présumer d’une protection automatique, les experts insistent sur la nécessité d’évaluer précisément l’impulsivité et la régulation émotionnelle chez chaque individu, sans stéréotype.
Le paradoxe émotionnel : fort à l’extérieur, fragile à l’intérieur
C’est un des constats majeurs : les personnes HPI font souvent preuve d’une grande intelligence sociale. Elles comprennent les nuances, les non-dits, et anticipent les émotions des autres. Mais en ce qui concerne leurs propres émotions, le tableau est bien différent.
On observe souvent une forme d’alexithymie partielle : elles peuvent analyser et théoriser leurs émotions sans pour autant savoir les identifier ou les accepter lorsqu’elles se manifestent avec force. Le cerveau rationalise, tandis que le corps subit. Les émotions, jugées intolérables, peuvent alors déclencher une urgence à agir pour « couper » cette intensité. L’addiction devient alors une solution de secours pour reprendre le contrôle.
Mieux évaluer pour mieux intervenir
L’étude mentionnée a utilisé une approche novatrice, en comparant différents profils (HPI et non HPI, avec et sans addiction). Cette méthode permet d’aller au-delà des généralisations et de cibler des mécanismes spécifiques :
- L’impulsivité n’est pas un bloc monolithique. Elle se décompose en plusieurs facettes :
- Urgence négative : agir sous l’effet du stress ou de la détresse.
- Urgence positive : se laisser emporter par l’euphorie.
- Manque de préméditation : agir sans anticiper les conséquences.
- Manque de persévérance : abandonner face à une tâche peu stimulante.
- La régulation émotionnelle est la capacité à gérer ses émotions. Pour les personnes HPI, la difficulté n’est souvent pas dans le fait de ne pas avoir de stratégies, mais dans le fait de ne pas les mobiliser au bon moment. Le problème se situe souvent au niveau de la clarté émotionnelle : est-ce que je peux nommer et graduer ce que je ressens ?
Des interventions ciblées pour un accompagnement efficace
Une fois les mécanismes d’impulsivité et de régulation identifiés, l’intervention peut être adaptée. L’article propose trois niveaux d’action :
- Prévention primaire (enfants et adolescents)
L’objectif est de rendre explicite ce qui est souvent implicite. Cela passe par la psychoéducation émotionnelle : apprendre à nommer les émotions et à en graduer l’intensité. On peut également travailler sur le perfectionnisme en valorisant l’imperfection et l’essai-erreur.
- Prévention secondaire (adultes à risque)
Pour ceux qui n’ont pas encore de trouble avéré mais qui sentent un risque, la solution est l’auto-monitoring émotion-comportement. Il s’agit de rendre visible le lien entre un déclencheur, une émotion, une pensée et le comportement addictif. On peut aussi entraîner la dimension d’impulsivité la plus problématique avec des stratégies simples et rapides.
- Prise en charge tertiaire (personnes avec trouble avéré)
Ici, le travail commence par l’alliance thérapeutique. Il est essentiel de ne pas tomber dans l’erreur de dire « Avec votre intelligence, vous devriez… ». L’accent doit être mis sur la réconciliation identité-performance et le droit à l’erreur. L’objectif est de construire des stratégies concrètes, mesurables et adaptées à la vie quotidienne, tout en gérant les éventuelles comorbidités (TDAH, troubles de l’humeur…).
En résumé : de l’intelligence brute à l’ingénierie émotionnelle
Travailler avec des personnes HPI sur les addictions, c’est abandonner l’idée que l’intelligence seule suffit. C’est accepter de regarder de près les mécanismes émotionnels et comportementaux qui font la différence au quotidien.
Le chemin n’est pas une recette miracle, mais une démarche pragmatique et itérative. Il s’agit de s’appuyer sur les forces du HPI, comme sa capacité d’analyse et d’adaptation, pour construire une ingénierie émotionnelle fine et sur mesure, tout en respectant l’intensité propre à ce profil.